"Pour faire de bons sushis, il est indispensable d'avoir un riz rond japonica"

Chef de cuisine franco-japonaise, Hisayuki Takeuchi est devenu une référence, influençant les plus grands chefs avec sa nouvelle cuisine japonaise adaptée à la modernité. Il a répondu à vos questions lors d'un chat.

"Pour faire de bons sushis, il est indispensable d'avoir un riz rond japonica"
 

Qu'est-ce qui caractérise la nouvelle cuisine japonaise ?

La nouvelle cuisine japonaise est une forme d'art contemporain, une expression personnelle. La technique n'est pas suffisante, il faut exprimer une émotion artistique, puiser dans ses cultures littéraires, musicales. Il faut aller au musée, écrire, aller au cinéma, etc., pour finalement transformer le métier de cuisinier qui ne peut pas perdurer sous sa forme actuelle. Le cuisinier a le droit d'exprimer la beauté de la nature ; c'est son devoir, au même titre qu'un artiste.

On dit que la cuisine japonaise est très diététique et bonne pour la santé. En quoi ?

D'abord, parce que la cuisine japonaise est végétarienne car la viande a été interdite (officiellement !) pendant plus d'un millénaire, donc les Japonais ont développé une cuisine à base de soja et de fermentation, lequel principe est excellent pour la santé (les bactéries, les ferments, toute cette petite vie laborieuse, est indispensable à notre propre vie). La façon de préparer est aussi très spirituelle grâce à l'apport du zen. Et une clé importante est l'usage des produits crus : pas de gaspillage (on mange tout du produit : les feuilles, les pieds, etc.). Je pense que le cru est la base de la diététique.

La nouvelle cuisine japonaise est-elle inspirée par la recherche de l'équilibre énergétique (yin et yang) comme la cuisine chinoise ou la macrobiotique ?

Bien sûr, toute la cuisine japonaise, y compris la nouvelle, est toujours, à la source, en rapport avec l'équilibre des saisons, le respect du produit ; ces théories sont une puissante philosophie, elles sont toujours applicables mais trop contraignantes pour satisfaire la gourmandise. Tout est question d'équilibre !

Vos recettes demandent un certain niveau de connaissance et de pratique. Peut-on tout de même les réaliser chez soi ?

Oui, bien sûr, j'ai pensé à tous les niveaux, car il y a des recettes faciles, mais aussi des plus complexes... Le tsukemono de céleri est simplissime, la salade de concombre à l'échalote rôtie aussi.

Quand on mange japonais, que boit-on avec ? Du thé ?

La cuisine japonaise, et surtout le sushi, s'accompagne très bien de thé vert, traditionnellement, mais pour la nouvelle cuisine japonaise, le vin français, le champagne, les vins "nature", sans souffre et sans produits chimiques ou sucre, s'accommodent aussi très bien.

"Le gingembre, même vinaigré, a un goût sucré quand il est de bonne qualité"

Quel riz faut-il et comment le préparer pour réussir des bons sushis ?

Il est indispensable d'avoir à disposition un riz rond "japonica". En Europe, on l'importe d'Espagne ou de Californie. Pour le préparer, j'ai bien expliqué, dans le livre Nouvelle cuisine japonaise, une forme de cuisson efficace, et comment parfumer avec des vinaigres différents. Et ce peut être intéressant de chercher un vinaigre local pour essayer vos propres sushis... Soyez inspiré, c'est ce que j'ai essayé de transmettre dans ce livre.

Quel dessert après un bentô ?

Un bentô est un menu complet qui comprend aussi la partie dessert, souvent un fruit ou un yokan. Mais moi, je propose aussi mes propres desserts, toujours légers pour terminer sur une note euphorisante.

À ce propos, quels sont les fruits consommés par les Japonais ?

Vous avez raison, les fruits sont rares au Japon puisque les algues fournissent habituellement les vitamines essentielles. Mais on peut trouver tous les fruits du monde comme par exemple une poire française que les Français ne cultivent plus. Par ailleurs, à Shikoku, mon île natale, il y a quantité d'agrumes dont le yuzu, le cabosu... On trouve aussi les kakis, les framboises sauvages, les pastèques, les nashis...

Je ne comprends pas l'usage des lamelles de gingembre vinaigré : je les trouve vraiment très piquantes et astringentes...

En fait, certains disent que le gingembre doit être mangé entre chaque sushi pour distinguer les goûts, rafraîchir les papilles, renouveler, par l'astringence, la possiblité d'apprécier les différents sushis. Le gingembre, même vinaigré, a un goût sucré quand il est de bonne qualité !

 

J'adore les tempura ! J'aimerais en faire à la maison. Quelle farine utiliser et comment les réussir ?

La farine type 45 ou 50 est adéquate. Sa température est importante : mettez la farine dans le congélateur, travaillez les ingrédients les plus froids possible. L'huile de friture doit être à 180 °C-190 °C. Pour ma part, j'utilise de la bière japonaise pour donner légèreté et résultats réguliers.

Peut-on préparer des makis et sushis en version sucrée ?

Alors, j'ai fait une création, elle s'appelle Pika-Pika : ce sont des makis avec une purée de framboises et de mangues, qui donnent un délicat goût sucré. Sinon, le sushi dit "Rive Gauche" est un gunkan avec un riz au lait parfumé au lait de coco et aux groseilles, cassis, etc.

Est-il facile, ici en France, d'acheter les ingrédients pour confectionner les plats japonais ? Merci à vous.

Aujourd'hui, c'est plus facile grâce à la mondialisation mais l'Europe impose des contraintes sanitaires très strictes qui empêchent la venue de produits japonais. Alors je vous propose toujours des ingrédients locaux pour remplacer ce qui peut être très coûteux, comme le kombu breton, qui est une algue japonaise très bien acclimatée en Bretagne, parmi tant d'autres exemples.

"Je pense que le cru est la base de la diététique"

J'ai lu des livres d'Amélie Nothomb qui a vécu au Japon étant petite. Elle mangeait des okonomi yakis. Comment les fait-on ?

Les okonomi yakis peuvent être appelés "pizza japonaise". C'est très populaire. C'est une forme de crêpe, à base de farine, œuf, eau et sel, cuite sur une plaque. Souvent, on ajoute de la mayonnaise ou de la sauce industrielle sucrée. C'est sans doute ce goût-là que l'auteure appréciait... Il y a un restaurant à Paris qui en a fait sa spécialité.

Dans des recettes, je trouve parfois du tofu soyeux. Qu'est-ce que c'est ? Je connais le tofu normal mais quelle est la différence avec le soyeux ?

Le tofu soyeux est très tendre, fait à partir d'un lait de soja filtré plus finement que les autres dans un tissu très fin. Au niveau du goût, il est très délicat. Il est parfait dans la soupe miso. On le trouve en boîte UHT tout prêt ou dans les magasins bio sans difficulté.

Est-ce que je peux fabriquer de la pâte miso moi-même ?

Vous pouvez, mais c'est un peu compliqué, même si j'en faisais quand j'étais petit... Il faut du temps surtout pour la fermentation !

Vous inspirez-vous aussi de la gastronomie française pour créer votre nouvelle cuisine japonaise ?

C'est la gastronomie française qui s'inspire de la gastronomie japonaise et en particulier, en ce moment surtout, de la cuisine Kaiseki. C'est un mouvement mondial.

Dans votre livre, quelle est votre recette préférée ?

J'ai une certaine préférence pour le sushi Mondrian. C'est à la fois une façon très traditionnelle et complètement futuriste de travailler. Je l'ai trouvé après avoir visité l'exposition "Mondrian, sur les voies de l'abstraction". Et ses tableaux du début sont fantastiques. J'ai appelé cette création sushi Mondrian 1908 parce que c'est cette année-là que Mondrian est devenu Mondrian, je crois.

Selon vous, quelle est la vertu principale de la cuisine japonaise ?

C'est une cuisine qui respecte la nature, c'est une valeur essentielle pour l'humain. Il y a une seconde vertu, c'est l'harmonie, l'esthétique, par exemple l'architecture du temple bouddhiste, qui ne présente pas de distance entre la nature et sa structure.

Comment est perçue votre cuisine au Japon ?

Eh bien, à ma grande surprise, ma cuisine est connue des Japonais anonymes qui recommandent mon établissement à leurs clients, mais je ne suis pas encore médiatisé et largement méconnu pour l'instant.