Gérard Taurin, sculpte la glace avec classe

Glacier, sculpteur sur glace, formateur et aventurier de la glace, Gérard Taurin est un passionné... de glace. Depuis son entrée dans l'univers glacé à l'âge de 17 ans, il ne l'a plus jamais quitté. Rencontre avec ce passionné qui n'a pas froid aux yeux.

Gérard Taurin, sculpte la glace avec classe
© Gérard Taurin

Gérard Taurin n'a pas cherché sa voie très longtemps. Dès ses 17 ans, il entre en apprentissage de pâtisserie dans la prestigieuse école Lenôtre à Paris. Il apprend à travailler la crème glacée et son intérêt pour cet univers culinaire ira grandissant avec la découverte de la sculpture sur glace. Son travail-passion est récompensé par sa promotion au poste de Responsable du pôle des desserts glacés chez Lenôtre en 1999 et son titre de Meilleur Ouvrier de France Glacier 2000, puis celui de Champion du Monde Glacier à Turin (Italie) en 2003. En 2008, l'artisan glacier intègre l'Ecole Lenôtre en tant qu'animateur de cours de glace, sculpture sur glace et pâtisserie. En parallèle de cette activité, Gérard Taurin a également créé son entreprise de formation "Horizon Formation" qui lui permet de transmettre son savoir-faire aux professionnels. Artisan glacier, formateur, sculpteur sur glace, Gérard Taurin est également un aventurier de la glace. Il a sillonné les routes marocaines pour partir aux origines du sorbet et s'apprête à partir en Chine sur les pas de Marco Polo pour découvrir les premières glaces.

Sculpteur sur glace, formateur de la glace, aventure de la glace... Pourquoi la glace ?  
La glace est un produit que je me suis immédiatement senti apte à travailler. Je trouve qu'elle permet de transmettre la saveur pure d'un produit. Prenez un sorbet à la framboise par exemple, la saveur originelle du fruit n'est pas altérée ou mélangée à d'autres accords aromatiques. La matière première est simplement glacée. Dans la cuisine ou la pâtisserie, cette "authenticité" est moins vraie car la matière première est généralement retravaillée. 

Chef, pâtissier... tous ces métiers de bouche sont sous les feux des projecteurs. Les glaciers, eux, exercent dans l'ombre : des oubliés de la gastronomie ?
Oubliés certes, et oserai-je même dire sous-estimés... Combien de fois ai-je entendu que le glacier était un pâtissier qui avait mal tourné ? Pourtant, c'est un métier à part entière qui nécessite de nombreuses connaissances et une grande ouverture d'esprit. Au même titre qu'un cuisinier, le glacier est attentif aux demandes des consommateurs. Il fait le marché, suit les tendances, travaille les fruits, les épices etc... Il y a des normes à respecter, des recettes aux dosages mathématiques à élaborer. On ne s'improvise pas glacier. Je pense qu'il faut raisonnablement 10 à 15 ans d'expériences avant de prétendre être un bon glacier et je regrette que cette profession soit encore considérée comme une ramification de la pâtisserie. 

Dans la profession, le glacier est souvent perçu comme un pâtissier qui aurait mal tourné...
On dit souvent que la pâtisserie suppose beaucoup de précision. Quelles sont les exigences en matière de glace ?
Les matières premières doivent être de bonne qualité. Les fruits, de saison, doivent être sélectionnés avec soin, quitte à mettre des producteurs en concurrence pour choisir les meilleurs. Pour le lait, l'idéal est de le faire venir directement de la ferme. Mais cela n'est pas toujours possible lorsqu'on produit en grande quantité, pour des raisons bactériologiques. Tous ces produits frais doivent être transformés dans la journée. L'autre exigence fondamentale est de trouver un juste équilibre dans le dosage du sucre. Pour faire un sorbet aux fruits, il faut calculer le taux précis de sucre du fruit pour éviter de lui en ajouter trop. Ce qui n'est pas toujours aisé car ce taux varie selon la variété et la maturité du fruit. Pour les glaces, il faut réussir à bloquer les arômes sur la matière grasse avant d'ajouter du sucre. Ainsi, lorsqu'on fait une glace au praliné, il faut prendre en compte que la noisette apporte déjà son lot de matière grasse. 

Constatez-vous une "typologie" du mangeur de glace ?
En France, la consommation de glace se fait dans la rue, en vente à emporter, ou à la maison. C'est une dégustation associée à la convivialité, à l'univers familial car la demande vient souvent des enfants. En termes de saisonnalité, il y a, sans surprise, un pic l'été. Pour la typologie, je dirai qu'il y a effectivement une différence entre les hommes, qui sont plus glace, et les femmes, sorbet. Côtés parfums, la vanille l'emporte sur le chocolat et pour les sorbets, c'est la fraise et le citron qui ont la faveur des gourmands. De manière générale, les consommateurs aiment la simplicité. Ils choisissent les parfums qu'ils connaissent et se laissent rarement tenter par des saveurs trop originales. 

Vous avez été champion du monde de sculpture de glace en 2003 à Turin à l'occasion de l'épreuve des Meilleurs Ouvriers de France. Comment en êtes-vous arrivés là ? 
Ce n'est pas complètement un hasard... La sculpture sur glace fait partie du métier de glacier. Historiquement d'abord. On a parfois tendance à oublier que le réfrigérateur n'a pas toujours existé ! Disposée sur les grands buffets de l'époque, la glace servait à réfrigérer les mets. Les grands noms de la gastronomie ont ensuite apporté leur touche artistique. On se souvient d'Escoffier qui réalisa à l'attention de la cantatrice Melba un magnifique cygne en glace pour contenir la désormais célèbre glace Melba. Vatel, quant à lui, a beaucoup influencé l'élégance et la transparence dans cet art. La seconde raison c'est tout simplement parce que pour concourir au titre de Meilleur Ouvrier de France, il faut s'initier à cet art glacé.   

Quelle différence y-a-t-il entre un sorbet et une crème glacée ?
Dans le sorbet, il n'y a pas de matière grasse laitière à l'inverse de la glace. Ce lait peut être du lait de vache, mais aussi de brebis, de chèvre, d'ânesse, en bref tous types de lait.

Quelles sont les étapes de fabrication d'une glace ?
La première étape est la préparation du "mix". Elle consiste à mélanger les liquides, à amener le mélange obtenu à une température entre 20 et 25° puis incorporer le parfum de son choix (vanille par exemple) et le sucre avant d'atteindre une température de 45°. Pour obtenir un mélange sain de toute bactérie, il faut ensuite le porter à environ 82° puis le refroidir rapidement à 4°. C'est ce qu'on appelle la pasteurisation. Suit la maturation qui consiste à laisser reposer le mix entre 12 et 24h. Cette étape est très importante car elle permet d'affiner la texture et de fixer les arômes. Enfin, dernière étape, la surgélation qui consiste à laisser prendre le mix dans une turbine.

Et d'un sorbet ?  
Pour le sorbet, on réalise un sirop que l'on fait refroidir avant de le mélanger à une purée de fruits. La difficulté est de bien doser la quantité de sirop par rapport au sucre du fruit. On place ensuite ce mélange fruité dans la turbine.

Vos astuces pour réaliser une glace sans sorbetière ?
Sans sorbetière, il faut au moins un élément froid. Ce que je recommande c'est de remplir un cul de poule ou un saladier de glaçons concassés avec du sel, puis d'y déposer un autre contenant. Le niveau des glaçons doit être suffisamment important pour "encercler" tout ce contenant. Ensuite, versez le mix ou le mélange sirop-purée de fruits et fouettez rapidement entre 10 et 15 minutes jusqu'à durcissement. C'est un phénomène physique, vous verrez, cela fonctionne très bien !

Faut-il sortir la glace avant de la servir ?
C'est effectivement plus agréable pour la dégustation car cela permet à la glace de retrouver la même température que lorsqu'elle sort de la turbine, soit entre – 6 et – 8 °. Sachez qu'une glace qui sort de votre réfrigérateur a une température d'environ – 18°. Vous pouvez donc la sortir au moins 1h avant en la plaçant au frigidaire dans sa boîte. Vous pouvez aussi la sortir plus tôt. Récemment, j'ai fait un atelier dans une école maternelle et pour une dégustation prévue à 16h, j'avais sorti les glaces à 11h ! L'astuce pour s'assurer qu'elle est à point, c'est de plonger une lame de couteau jusqu'au cœur de la glace. Si vous pouvez le faire sans difficulté, c'est que la glace est prête à être dégustée !