"Il y une omerta forte sur les violences en cuisine" rencontre avec Eric Guérin

Rencontré lors de la cérémonie du Guide Michelin, Eric Guérin fraîchement auréolé d'un macaron pour sa seconde maison Le Jardin des Plumes nous avait confié sa fierté. Une fierté pour l'équipe qu'il a poussée jusqu'aux étoiles dans une ambiance saine, sans violence.

"Il y une omerta forte sur les violences en cuisine" rencontre avec Eric Guérin
© Olivier Marie

Souriant, accessible, volubile lorsqu'il parle de sa cuisine et ses "jeunes", Eric Guérin est un chef passionné, passionnant et sans langue de bois. Entré dans les cuisines dés l'âge de 18  ans où il a été élevé à "la dure", le chef a aujourd'hui encore plus soif de gastronomie. Soif d'en imprégner sa patte et d'en être le passeur auprès des jeunes qui intègrent ses maisons. Des établissements dans lesquels la violence n'a pas sa place. 

Que représente cette seconde étoile ?
C’est un peu particulier car j’ai une étoile à la Mare aux Oiseaux depuis 15 ans déjà. Au Jardin des Plumes, c’est l’étoile d’une équipe, celle que j’ai formée, à qui j’ai confié les rênes d’une maison. C’est aussi et surtout la reconnaissance d’une cuisine faite avec amour, dans un esprit familial, ce qui tranche avec l’actuel débat autour des violences en cuisine.

Une belle récompense que vous n’avez pas déméritée…
En effet, Le Jardin des Plumes, c’est une jolie maison que j’ai peinée à sortir de terre. Ce fut l’un de mes projets les plus difficiles. Ce nouveau rayonnement va l’aider à avancer, donner un nouveau souffle à mon équipe. Et moi, ça me rebooste pour donner une nouvelle impulsion avec la nouvelle équipe que j’accueille à la Mare aux Oiseaux en ce début d'année 2015. 

Justement, quelle différence y-a-t-il avec la Mare aux Oiseaux ?
La Mare aux Oiseaux, j’y suis impliqué à 100 %. C’est mon écriture, je dessine mes plats. La cuisine est imprégnée Eric Guérin. Le Jardin des Plumes fonctionne de manière plus autonome. Il y a mon empreinte mais c’est davantage une impulsion que je donne à mon équipe. Je laisse mes jeunes s’exprimer tout en les chapeautant. Je suis un peu le papa poule et ça me va très bien.

Quel regard portez-vous sur la sélection 2015 du Guide Michelin ?
On sent qu’il y a eu un tournant. Une réflexion sur la cuisine de demain. C’est une jolie sélection qui récompense aussi bien des maisons de chef que des groupes, des brigades. La province n’a pas été oubliée, il y a une belle homogénéité. Le soutien du gouvernement est également un beau message pour la gastronomie française et c’est un honneur d’en être l'un des ambassadeurs. 

Quelles sont vos envies pour vos deux maisons dans les mois à venir ?
Qu’elles vivent ensemble tout en gardant leur indépendance. Je souhaite y préserver la vision d’une gastronomie basée le bien être des clients et celui de ceux qui la font. Les deux maisons sont distantes de 500 bornes mais je vais tâcher de conserver la cohésion que j'y ai instaurée.

Une façon de faire un pied de nez au débat sur les violences en cuisine...
J’ai récupéré pas mal de jeunes abîmés, qui ne croyaient plus en leur avenir dans le métier. La violence n'est pas partout, le fait d’en parler a permis de calmer un peu les choses mais il y une omerta très forte au sein de la profession. Je suis un des seuls à avoir ouvert sa bouche sur les réseaux sociaux. L’idée n’est pas d’entrer en guerre contre tel ou tel chef mais plutôt de remettre la passion au centre de la cuisine. Il faut recadrer les choses. J’ai été élevé à la dure, dans des maisons violentes. J’ai failli craquer des dizaines de fois. J’étais assez timide, fragile. Et finalement, j’ai tenu. Tant qu’on ne me jetait pas dehors, je restais, je m’accrochais alors même qu’on me disait de foutre le camp et que j’étais un bon à rien. J’ai pris le contre-pied dans mes maisons et mon personnel n'en est pas moins mauvais. Une ambiance saine est gage de sérénité tant pour mes jeunes que pour moi. Je ne rentre pas chez moi fatigué d’avoir crié et mes jeunes ne viennent pas travailler la peur au ventre. Je ne comprends pas qu’on puisse travailler dans un univers de stress. La société est déjà tellement fragile qu’il ne faut pas fragiliser davantage les jeunes. Nous les "anciens", sommes là pour leur construire un environnement sain, droit. On est des passeurs. Il faut impérativement redorer le blason de l’humain en cuisine. Idem pour la salle, qui souffre d’un déficit de visibilité. 

La féminisation des cuisines est-elle réelle ?
Il y a eu une forte féminisation des cuisines avec un gros pic il y a 2/3 ans lié à la médiatisation du métier. Cela s’est un peu calmé avec la prise de conscience de la difficulté du métier. Ce qui a évolué c’est l’image de la femme dans une brigade. Avant, une femme en cuisine, c’était l’attraction, on disait "on a une femme", aujourd’hui, c’est naturel, intégré et elles ont accès à des postes de responsabilités. J’espère qu’on en aura de plus en plus. Je suis très admiratif du travail de Stéphanie LeQuellec, elle est incroyable.